Par: Benoît TROUVILLIEZ

Introduction

Ce billet fait suite à celui introduisant le droit des brevets en France. Dans celui ci, il sera question d’un cas particulier que nous n’avions que peu abordé dans le premier billet : le cas de la brevetabilité des logiciels. Il s’agit là d’une question essentielle pour Onyme et pour les logiciels qu’elle développe et notamment son moteur d’analyse sémantique. C’est pourquoi nous aborderons également le positionnement de la société par rapport à ces “brevets logiciels”.

“Logiciel en tant que tel” et “Procédé Programme d’Ordinateur”

Comme nous l’avons vu dans le premier billet, une invention n’est brevetable en France que si (entre autres) elle ne fait pas partie d’une liste d’exclusion… incluant les programmes d’ordinateurs en tant que tel.

Donc, à première vue, il n’est pas possible de breveter un logiciel. Mais est ce vraiment aussi simple? En fait, le terme “en tant que tel” présente ici un intérêt qui n’est pas négligeable. Même si un logiciel “à la base” n’est pas brevetable, il n’en est pas de même pour le procédé mis en œuvre par ce logiciel qui lui est bien brevetable à condition de respecter les conditions de brevetabilité (nouveauté, innovant, réponse technique à un problème technique, application industrielle possible).

Dans ce deuxième cas, on ne parle plus de logiciel  mais de “procédé programme d’ordinateur”. Un brevet portant sur un procédé programme d’ordinateur protège à la fois le procédé ET le logiciel. Mais pourquoi protéger les deux si un logiciel “en tant que tel” n’est pas brevetable? La réponse est assez simple : si le programme d’ordinateur n’est pas breveté, seule l’exécution illégale de ce dernier (donc le déroulement du procédé) peut constituer une infraction au brevet tandis que la réplication du programme d’ordinateur n’en serait pas une.

Un pirate informatique ne pourrait donc pas être accusé d’avoir enfreint le brevet en dupliquant sans autorisation le logiciel tandis qu’une personne exécutant de bonne foi le logiciel précédemment dupliqué le serait.

En permettant au brevet de s’appliquer aux programmes d’ordinateurs, la protection est aussi valable contre le “copieur”.

Ce que seule la brevetabilité du “procédé programme d’ordinateur” implique

Le fait qu’un logiciel ne soit brevetable qu’à travers son procédé possède des répercutions sur l’intérêt du brevet délivré.

Si un logiciel était brevetable en tant que tel, il serait alors impossible pour une société concurrente de développer un produit similaire ou tout du moins délivrant les mêmes fonctionnalités que le logiciel breveté. Il n’en est pas de même avec le procédé programme d’ordinateur…

Si le mythe veut qu’un brevet protège contre toute copie, la seule protection offerte par le brevet sur un logiciel porte sur l’algorithme exécuté. Il reste alors tout à fait possible pour un concurrent de réaliser un programme similaire effectuant les mêmes fonctionnalités sous réserve de le faire différemment (donc en employant un algorithme différent de celui breveté).

Positionnement d’Onyme par rapport au brevet logiciel

La société Onyme travaille depuis 5 ans en R&D sur le traitement de la langue ce qui a conduit à la création d’un moteur d’analyse sémantique. Durant ces travaux nous nous sommes interrogés sur l’opportunité et la pertinence d’un dépôt de brevet. Par ailleurs, lors de phase de recherche de fonds, les potentiels investisseurs nous demandaient souvent :

Vous l’avez breveté votre moteur ?

Alors la réponse est : non (pour l’instant).
Voyons les différents éléments que nous avons exploré jusqu’à présent.

Le “coût” d’un dépôt de brevet

Pour déposer un brevet à l’INPI plusieurs coût sont à prendre en compte :

  • Le coût de dépôt : environ 600€ HT (voir “Combien coûte un dépôt?” sur le site de l’INPI)
  • Le coût pour maintenir le brevet en vigueur. On parle d’annuité et le tarif est progressif de la 1ère année (inclue dans le paiement du dépôt) à la 20ème année (nombre d’années maximum de la protection). Le tableau des annuités est disponible sur le site de l’INPI.

A noter que si les annuités ne sont pas spontanément versées à l’INPI dans le délai prévu, le brevet tombe automatiquement dans le domaine public.

A ces coûts il faut ajouter les coûts de rédaction par un “homme de l’art”, autrement dit: un cabinet juridique spécialisé en propriété intellectuelle. La rédaction d’un brevet est un exercice difficile qui ne s’improvise pas et son acceptation est fortement dépendante de la qualité de cette rédaction. Par conséquent, il apparaît impossible de se passer de cette prestation.
Ici le coût varie selon plusieurs paramètres: la renommée du cabinet, le domaine, votre capacité à négocier …
Comptez au minimum 6000 € HT pour ce type de prestation.

Ceci donne donc une idée des sommes à prévoir si on se lance dans un dépôt de brevet, sommes que nous en jugeons pas considérables encore qu’il s’agit ici uniquement de déposer pour le territoire Français. Évidemment, si l’on veut étendre la zone de protection, il convient de déposer le brevet dans tous les pays visés (et qui reconnaissent ce type de protection de la propriété intellectuelle) ce qui multiplie les coûts.

La protection offerte par le brevet

Un brevet déposé et validé confère un monopole d’exploitation au déposant pendant une durée maximum de 20 ans dans les territoires couverts par le brevet. En France, si une personne (physique ou morale) utilise “votre création” vous pouvez la poursuivre en justice pour contrefaçon devant un tribunal de grande Instance.

Se lancer dans une action en justice est une chose à ne pas prendre à la légère. Il convient de bien évaluer le préjudice généré par le(s) contrefacteur(s) afin de voir si le “jeu en vaut la chandelle”. Par ailleurs, recourir à un(des) avocat(s) pour être représenté au tribunal demande du temps et des moyens importants.

La protection dépend surtout des moyens dont on dispose pour défendre son brevet.

Valeur

Un brevet apporte incontestablement de la valeur à une entreprise :

  • Il représente “un actif” qui peut être valorisé. Une société doit nécessairement financer sa R&D et dans une petite structure telle qu’Onyme, passer par une levée de fonds est une voie courante. La problématique de valorisation de l’entreprise se pose alors et disposer d’un brevet concrétise les actifs de la société qui sont dans notre cas le plus souvent immatériels : algorithmes, programmes, …
  • Il est un atout commercial indéniable du fait du monopole qu’il confère.
  • Il est bénéfique pour l’image, car il apporte une notion d’excellence à la société.

Conclusion

Jusqu’à présent nous n’avons donc pas cherché à breveter notre “moteur”.  Non pas que le coût du dépôt soit rédhibitoire d’autant plus que pour les PME de moins de 1000 pers. l’INPI fait une ristourne de 50% sur les 7 premières annuités pour le maintien du brevet.

Nous l’avons vu dans les paragraphes précédents, les “brevets logiciels” n’existent pas en France, ni en Europe. Nous devons breveter un procédé mis en œuvre par un logiciel. Cette abstraction est loin d’être évidente au moment de la phase de rédaction. Cela constitue notre 1er frein.

Ensuite, si l’on décide tout de même de se lancer dans la rédaction d’un brevet il faut être extrêmement sûr que celui-ci sera accepté. Si au final ce n’est pas le cas, vous aurez perdu du temps dans cette démarche qui n’aura rien apporté. N’y voyez pas ici de dévalorisation du travail effectué depuis 5 ans. Nous connaissons la valeur intrinsèque de notre moteur et arrivons à en retirer du profit.
La brevetabilité constitue donc le 2nd frein.

Le 3ème frein enfin est celui des moyens, et c’est certainement le plus important. Nous n’avons clairement pas les moyens de nous défendre face à une société qui disposerait d’une “armada” d’avocats capables de mettre en œuvre tous les recours juridiques possibles afin de faire durer la procédure. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un aveu de faiblesse ou d’un constat d’impuissance : ce que j’avance ici n’est pas un secret, un petit tour sur societe.com et vous vous rendrez vite compte des moyens financiers d’Onyme. Nos atouts sont ailleurs c’est tout.

Toutefois, cette position n’est pas définitive. Nous continuons de travailler en R&D et à chaque étape nous reposons la question. Si à l’avenir un des freins évoqués venaient à disparaître il est probable que nous nous lancerions. En attendant nous utilisons d’autres solutions pour la protection juridique de notre moteur, notamment via les services offerts par l’APP (Agence pour la Protection des Programmes).

Mots clefs : , , , , , , , , , , , ,